L’électrification rurale peut contribuer au développement humain à différents égards, et il est souvent avancé que les problèmes d’accès à l’électricité freinent le développement économique et la fourniture de services publics tels que les soins de santé et la scolarité. Partant de ces hypothèses, les Nations Unies veulent assurer un accès universel à l’électricité d’ici 2030 par le biais de leur initiative Énergie durable pour tous (SE4All ; voir aussi United Nations 2010). La tâche est loin d’être aisée : à ce jour, plus de 1,3 milliard d’êtres humains sont privés d’électricité dans les pays en développement, dont 590 millions en Afrique (IEA 2012), où le taux d’électrification rurale ne dépasse pas 14 % (SE4All 2013). Par conséquent, les investissements exigés sont considérables : selon l’Agence internationale de l’énergie (IEA 2011), 640 milliards de dollars US seraient nécessaires pour parvenir à un accès universel à l’électricité d’ici 2030 (en coûts supplémentaires par rapport à un scénario de statu quo).
Dans sa contribution à la 11e conférence AFD − Proparco/EUDN « Quelles politiques énergétiques pour un développement durable ? », Maximo Torero décrit en détail l’ampleur des interventions d’électrification en termes d’impact socio-économique, ainsi que les difficultés méthodologiques auxquelles les chercheurs sont confrontés. Il souligne la nécessité d’appliquer des techniques d’évaluation modernes pour obtenir des informations fiables sur l’impact réel et de mettre en place un cadre théorique dont découleront les indicateurs d’impact pertinents. Torero présente en outre des preuves convaincantes, issues de deux évaluations rigoureuses menées en Éthiopie et au Salvador. Ses conclusions suggèrent plusieurs effets positifs dans les foyers : sur le plan de la santé, les maladies respiratoires reculent du fait d’un moindre usage du kérosène ; au niveau de l’éducation, le temps consacré à l’étude s’allonge ; et en termes financiers, l’augmentation des activités non agricoles entraîne une légère hausse des revenus.
Le présent article commente le travail de fond de Torero et appuie ses allégations méthodologiques et conceptuelles. Son analyse est complétée de deux manières : d’une part, les auteurs présentent les conclusions de leurs propres études en milieu rural couvrant le Bénin, le Burkina Faso, l’Indonésie, l’Ouganda, le Rwanda, le Sénégal et la Zambie. Les données proviennent donc majoritairement de l’Afrique subsaharienne rurale, où les taux d’électrification rurale sont les plus faibles. Il ressort de ces données que l’impact potentiel en Afrique est différent. D’autre part, les auteurs élargissent le débat en présentant des éléments comparés des interventions d’électrification rurale en réseau et hors réseau, à la fois sur le plan des effets potentiels et des coûts.
Dans un premier temps, les auteurs contestent la possibilité d’appliquer au contexte africain dans son ensemble les conclusions de Torero, ainsi que la littérature existante sur les impacts, qui sont principalement fondées sur des données provenant d’Asie et d’Amérique latine. Les effets potentiels sur l’incidence des maladies respiratoires doivent en grande partie être écartés, car les lampes à pile sèche se sont imposées dans les foyers africains même dans les régions rurales reculées. Ce phénomène n’est pas observable à un degré comparable dans les zones encore non électrifiées d’Amérique latine et d’Asie. Il apparaît en outre que l’électrification favorise une flexibilité accrue dans les foyers, mais rien ne permet de confirmer des répercussions positives, à terme, sur les indicateurs de pauvreté au sens strict. Par exemple, si les enfants passent effectivement plus de temps à étudier à la nuit tombée, ils s’y consacrent également moins en journée. De même, l’organisation des activités quotidiennes des membres du foyer a changé après l’électrification, mais sans que cela influe sur les horaires ou la structure de l’emploi. Peu d’éléments indiquent un effet sur les revenus des foyers, puisque les possibilités pour les microentreprises rurales d’étendre leur production sont freinées un peu partout par les difficultés d’accès au marché.
Dans la deuxième partie de cet article, les auteurs élargissent le champ des conclusions de la littérature à un débat sur les technologies appropriées pour la fourniture d’accès. Des données sont présentées sur les schémas habituels de consommation dans les régions électrifiées par extension du réseau, par des réseaux villageois et par des systèmes solaires individuels. Elles révèlent que le niveau de consommation des foyers ruraux africains peut facilement être alimenté par des systèmes solaires individuels. Les auteurs présentent ensuite une estimation des coûts du raccordement au réseau à partir de programmes d’extension, ainsi que différents types de systèmes solaires. La forte hausse des coûts est compensée par une nette préférence des foyers ruraux pour un raccordement au réseau plutôt que pour les systèmes solaires. Cette sagesse conventionnelle est mise en évidence par des témoignages de consentement à payer différents niveaux de services, recueillis dans plusieurs pays. Un autre argument en faveur de l’électrification par le réseau réside dans le fait que les conditions de maintenance et donc de viabilité sont plus difficiles lorsque l’électricité est fournie par des systèmes solaires ou des réseaux villageois.
L’article est organisé comme suit : la section 2 présente les preuves complémentaires d’impact apportées par les recherches des auteurs ; la section 3 compare les interventions d’électrification en réseau et hors réseau ; et la section 4 tient lieu de conclusion.